Dans un riche entretien avec la revue Télérama (N°3216, 31 août 2011, pp. 38-41), Jean-François Sirinelli, directeur du centre d’histoire de Sciences-Po et de la Revue Historique, tire justement la sonnette d’alarme à propos de la dégradation de la place de la discipline historique en France depuis quelques années. Il signale notamment sa préoccupation face à l’indifférence de l’opinion à l’annonce de la suppression de l’Histoire en Terminale S, et à la perte de crédit des historiens français au niveau international.
Dans ce bilan inquiétant, l’un des seuls éléments positifs reste, selon J-F Sirinelli, l’intérêt croissant manifesté par les étudiants pour l’histoire contemporaine, spécialité « qui résiste le mieux à la décrue. D’une part parce qu’elle en partie enseignée dans d’autres départements universitaires et aussi parce que beaucoup d’avancées historiographiques ont eu lieu en histoire contemporaine ».
Il ajoute : « Une intervention sur l’histoire immédiate est-elle légitime ? Je répondrai oui. Les autres sciences sociales travaillent sur l’immédiat. L’historien du temps présent travaille légèrement en décalage, et sa différence, je dirais presque son avantage, par rapport, par exemple, au politologue, consiste à placer les problèmes en perspective. Il y a alors expertise par éclairage. Je peux ainsi m’autoriser à intervenir sur la droite en France ou sur Nicolas Sarkozy parce que je peux expliquer à quelles familles de droite celui-ci appartient et à quel moment il a réussi une synthèse des droites. L’historien est celui qui travaille sur des temporalités entremêlées. Replacer Mai 68 dans une certaine perspective consiste ainsi à montrer que la barricade, qui a un long passé historique, se termine toujours dans les urnes, parce que depuis 1877 ce n’est plus le tribunal de la rue mais l’urne qui fonde et scelle le pacte républicain ».
Depuis le fameux plaidoyer de René Rémond en 1957 dans la Revue de Science politique, nous n’avions pas lu une telle défense et illustration de l’histoire immédiate. Merci, cela fait du bien à tous ceux qui essaient de la pratiquer depuis un certain nombre d’années.
Finalement, si loin de couler l’Histoire, comme le craignent et le prophétisent certains historiens depuis cinquante ans, l’histoire immédiate, au contraire, évitait à la discipline historique de disparaître des lycées et contribuait à promouvoir notablement la recherche historique ?
Jean-François Soulet
7 septembre 2011