Patrice GOURDIN, Géopolitiques, manuel pratique, Choiseul, 2010, 736 p.

25 juillet 2011
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Cet ouvrage vient à point. A une époque, en effet, où le mot géopolitique est devenu un mot passe-partout pour tout ouvrage, toute chronique, tout article évoquant la politique étrangère ou les relations internationales, il est salutaire qu’un spécialiste rappelle avec simplicité, clarté et dans le détail ce qu’est la « géopolitique ».

Regrettons -même si cela aurait rendu le livre encore plus épais !- qu’un premier chapitre n’ait pas été consacré à l’histoire de la géopolitique. Alors que le mot, en effet, est aujourd’hui très à la mode, qu’il fait vendre des livres ou attribuer des subventions[1], il est longtemps resté tabou dans les années cinquante et soixante parce qu’il avait servi de vecteur aux doctrines liées au nazisme (notamment celle d’ « espace vital »). Il a fallu attendre les années soixante-dix pour qu’en France, un professeur de géographie (situé nettement à gauche sur l’échiquier politique), Yves Lacoste –préfacier de l’ouvrage dont nous rendons compte- ose reprendre le concept et lui redonner ses lettres de noblesse en fondant la revue Hérodote (1976) et en publiant une remarquable Géopolitique des régions françaises (1986) ainsi qu’un dictionnaire de géopolitique (1993).

Le principal mérite de Patrice Gourdin, professeur agrégé à l’Ecole de l’Air de Salon de Provence, est de proposer pour la première fois un véritable manuel pratique de géopolitique. Après avoir défini l’objet de la géopolitique (étudier les enjeux de pouvoirs et d’influences sur des territoires entre plusieurs populations), il inventorie les quatre séries de facteurs à prendre en compte pour une telle analyse : les facteurs géographiques (situations géographiques, climats, relief, végétation, ressources naturelles), les facteurs humains (données démographiques, clivages ethniques, clivages linguistiques, clivages religieux, rivalités politiques), le poids des représentations (les populations n’agissent pas seulement en fonction des réalités, mais surtout en fonction de leurs représentations de ces réalités), les acteurs extérieurs (Etats, ONG, mafias…). Tous ces facteurs interfèrent, toutes ces problématiques se combinent les unes aux autres pour créer des situations géopolitiques souvent très complexes, que le spécialiste doit aborder avec méthode, selon des « grilles » d’analyse que fournit Patrice Gourdin.

Puis, voulant montrer comment l’on passe de la théorie générale à la pratique, l’auteur étudie (dernier chapitre), en tant que géopoliticien, une série de cas concrets : l’Ossétie, le Tibet, le Darfour, la Tchétchénie, l’Afghanistan.

Il s’agit donc, au total, d’un manuel, et, pour nous, le terme n’est nullement dépréciatif ; bien au contraire. Mais l’ouvrage de Patrice Gourdin est également « une contribution majeure au développement de la réflexion géopolitique » (Yves Lacoste).

Jean-François Soulet

J-F Soulet

 



[1] « A l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI), avoue ingénument son président (Commentaires, automne 2010, p. 622), nous avons des programmes qui s’appellent : ‘géopolitique’ de ceci ou de cela, tout simplement parce que, si on les nommait autrement, nos partenaires y prêteraient moins attention. Le marketing repose en partie sur la sémantique. Ainsi, avons-nous un programme ‘gouvernance européenne et géopolitique de l’énergie’. Dans l’absolu, je préfèrerais parler de politique internationale de l’énergie »

 

 

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